Marie Louise Giraud – Portait d’une condamnée à mort

Unique « faiseuse d’anges » guillotinée

Coupable d’avoir pratiqué 27 avortements illégaux dans la région de Cherbourg entre 1940 et 1942, sous le gouvernement de Vichy, Marie-Louise Giraud est guillotinée au nom de la protection de la famille et de la patrie.

« Travail, Famille, Patrie », une nouvelle devise pour une nouvelle guerre

Le 10 juillet 1940, les parlementaires votent les pleins pouvoirs au maréchal Philippe Pétain. Réunis en Assemblée nationale, ils approuvent par 569 voix contre 80 l’article unique : « L’Assemblée nationale donne tout pouvoir au gouvernement de la République, sous l’autorité et la signature du maréchal Pétain, à l’effet de promulguer par un ou plusieurs actes une nouvelle constitution de l’État français. Cette constitution devra garantir les droits du travail, de la famille et de la patrie »

La politique nataliste du régime de Vichy additionnée au déficit démographique que connait la France depuis la fin de la 1ere guerre mondiale renforce la répression de l’avortement. Ainsi, La loi du 15 février 1942 fait de l’avortement un crime contre la sureté de l’État relevant de tribunaux d’exception : « Tout individu contre lequel il existe des présomptions graves, précises et concordantes qu’il a de manière habituelle, ou dans un but de lucre, procuré ou tenté de procurer l’avortement d’une femme enceinte ou supposée enceinte, indiqué ou favorisé les moyens de se procurer l’avortement » pourra être déféré devant le Tribunal d’État et passible de la peine de mort.

Auparavant, le décret-loi du 29 juillet 1939 définissait une peine de dix ans d’emprisonnement à l’encontre de l’avorteur, et la femme se croyant enceinte à tort était punissable pour l’intention d’avorter.

Un procès pour illustrer l’Histoire

Quelques éléments de contexte : dès 1940, aux privations alimentaires et économiques qu’impose la Seconde guerre mondiale, s’ajoute la séparation de couples mariés avec l’emprisonnement de 1,9 million de français en Allemagne, engendrant une recrudescence des avortements clandestins. 

  • Le 15 octobre 1942, le commissaire Jean Trouvé du 2e arrondissement de Cherbourg reçoit une lettre anonyme l’informant que Marie-Louise Giraud, quarantenaire et mère de famille, pratique des avortements à son domicile, 20 rue Grande-Vallée.
  • Marie-Louise Giraud a en effet pratiqué 27 avortements entre 1940 et 1942, dont un fatal pour une de ses patientes, victime de septicémie en janvier 1942.
  • De son propre aveu, pratiquant des tarifs de 500 à 2 000 francs par acte, Marie-Louise Giraud aurait perçu un total de 13 910 francs pour ces services. Ses patientes lui étaient principalement adressées par trois voyantes, à qui les femmes confiaient leurs craintes d’une grossesse non désirée.
  • Marie-Louise Giraud comparait les 7 et 9 juin 1942 devant la section de Paris du Tribunal d’État pour y répondre de l’accusation d’avortements. A ses côtés, les voyantes Augustine Connefroy et Eulalie Hélène sont poursuivies pour complicité dans quatre avortements, Jeanne Truffet pour complicité dans trois avortements.
  • Lors de son procès, les magistrats insistent sur la « mauvaise moralité » de l’accusée, infidèle et mère indigne louant des chambres à des prostituées de Cherbourg. Quant à l’avocat général, reprenant les thèmes de la propagande de Vichy, il associe l’avortement à une attaque contre l’état dans son réquisitoire.
  • Après des heures de délibération, le verdict est sans appel : conformément à l’article 12 du Code pénal, Marie-Louise Giraud est condamnée à la peine de mort par guillotine. Le Maréchal Pétain n’accordera pas sa grâce à la cherbourgeoise.

Marie-Louise Giraud est exécutée le 30 juillet 1943 dans la cour de la prison de la Roquette à Paris où elle a été écrouée. Ses complices, Eulalie Hélène, Jeanne Truffet et Augustine Connefroy sont chacune condamnées à 6 000 francs d’amende et respectivement à cinq, huit et dix ans de travaux forcés.

A la Libération, en 1944, la loi condamnant l’avortement à la peine de mort fût abrogée.

Aujourd’hui, depuis la loi Veil du 17 janvier 1975, l’avortement n’est plus un délit en France.