Portrait d’un condamné à mort – Eugène Weidmann
Né le 5 février 1908 à Francfort-sur-le-Main en Allemagne Eugène Weidmann est élevé par ses grands-parents maternels à Cologne. Adolescent, il fait un séjour en maison de correction pour un vol de montre. Jeune adulte, il quitte l’Allemagne pour le Canada où il commet d’autres méfaits et passe quelque temps en prison puis est renvoyé dans son pays natal en 1931. Il se fait offrir par ses parents une voiture pour faire Taxi avec l’intention de faire fortune en kidnapping. Il échoue dans l’enlèvement d’un riche héritier et condamné à 5 ans et 8 mois de prison.
En prison il rencontre deux Français, Roger Million et Jean Blanc, incarcérés pour trafic de devises. Weidmann est libéré après un passage de trois jours dans les services de la Gestapo. Six mois plus tard il rejoint Million et Blanc à Paris en mai 1937. Ayant un casier judiciaire, Weidmann n’avait pourtant pas le droit de quitter l’Allemagne.
En 1937 l’Exposition Universelle attire à Paris des foules de riches touristes étrangers. C’est ce fonds de commerce que souhaitent exploiter Eugène Weidmann et ses complices Blanc et Million.
Weidmann a de belles manières, de la conversation, une grande faculté de conviction, un regard enjôleur, un charme fou. Les victimes sont attirées dans la villa que le trio loue à La Celle-Saint-Cloud où elles sont assassinées par Weidmann et Million. De juillet à novembre 1937, deux femmes et quatre hommes sont supprimés pour des butins dérisoires. Weidmann est arrêté en décembre. Ses complices se livrent rapidement à la police, certains d’être retrouvés.
Eugène Weidmann et ses acolytes comparaissent en mars 1939 devant la cour d’assises de Versailles.
C’est un grand procès, très spectaculaire et très couru.
En ouverture des débats il prend la parole, « je ne peux qu’avouer », et déclare qu’il renonce à être défendu. Le président s’y oppose, au vif soulagement de son avocat Me Vincent de Moro-Giafferri, ténor du barreau.
Weidmann, le « tueur au regard de velours », ne se défend pas. Au moment de dévoiler les mobiles qui l’ont poussé à ces multiples exécutions, le public est stupéfait : il aurait tué pour dérober quelques centaines de francs que les victimes portaient sur elles, pour payer un loyer. La sordide médiocrité de ses ambitions criminelles donne lieu à un flot d’hypothèses, dont l’idée que Weidmann ait put être un fauteur de trouble politique, au service d’une Allemagne nazie plutôt bienveillante envers son passé criminel.
Weidmann échappe à toute analyse. Les psychiatres le qualifient de « dégénéré supérieur ». Détaché, absent à lui-même, il semble considérer, ses crimes « comme la part la moins intime de sa vie ».
« Il est des moments dans un procès qui médusent les spectateurs, des instants où tout bascule, où ce qu’on croyait savoir d’un être s’efface. Un monstre disparaît, un homme apparaît ». C’est ce phénomène de métamorphose qu’observe la romancière Colette le 18 mars 1939 : d’une voix douce, bien timbrée, il avoue sans détours, sans livrer de détails sur les circonstances. « Je ne me sens pas en état de le faire », proclame-t-il à la cour. L’homme s’écroule, quasi évanoui. Suspension d’audience. Les confrères de Colette y ont vu un mauvais mélodrame. Pas elle. Rien de factice dans cet accès tremblant de sincérité, dans cet orage baigné de larmes qui a délivré un homme de son fardeau.
Le 31 mars, le verdict tombe : la mort pour Million et Weidmann. Le 16 juin, Roger Million voit finalement sa peine commuée en prison à perpétuité par le président de la République Albert Lebrun mais refuse la grâce à Weidmann.
Il est guillotiné , en public, le 17 juin 1939 devant l’entrée de la prison de Versailles. Des journalistes prennent la plus importante série de photographies d’une exécution capitale qui est même filmée. La foule qui assiste au « spectacle » parvient à déborder le service d’ordre.
Le gouvernement s’émeut de ces désordres et le 24 juin le président du Conseil Édouard Daladier promulgue un décret-loi abolissant les exécutions capitales publiques.